critique gastronomique?
Posté par benedictbeauge dans la rubrique : analyses, gazouillis, humeurs, lu/vu/entendu ailleurs lundi avril 5, 2010Comme un certain nombre d’entre vous le savent, j’entretiens des relations assez étroites, régulières en tout cas, avec l’Australie. Fidèle supporter de Tasting Australia, festival qui accueille à Adélaïde les « Le Cordon Bleu World Food Media Awards », sans doute la plus importante manifestation dans le monde consacrée aux médias gastronomiques dans leur ensemble (et pas seulement aux livres), j’ai été sollicité pour faire partie de deux des jurys de l’édition qui se tiendra à la fin du mois prochain : l’un chargé de juger des photos culinaires, l’autre, des critiques de restaurants. Il est regrettable que cette manifestation qui, en principe, est totalement internationale, soit, de fait, à nette majorité anglo-saxonne : cela réduit nettement les perspectives, et c’est dommage…
Si je n’ai pas eu de révélation côté photos (on pourra en reparler lorsque les résultats de la compétition seront connus), l’analyse d’une quarantaine de critiques en provenance d’Australie, bien sûr, mais aussi de Grande Bretagne, d’Irlande, des États Unis, du Canada (anglophone), n’a fait que renforcer l’opinion que Sébastien Demorand et moi-même exprimions l’année dernière dans Les cuisines de la critique gastronomique : dans ces différents pays, en général, cette critique gastronomique est beaucoup plus vivace que celle que nous connaissons dans l’Europe latine et, en tout cas, en France.
Il faut dire que leurs food writers sont en général beaucoup plus gâtés que nos critiques gastronomiques : l’espace qui leur est dévolu, en général une fois et demi plus important que pour une chronique française, voire davantage, les moyens financiers, même si ceux-ci sont en nette diminution chez eux également. Je me souviens d’un article d’Alain Richman (de New York), publié en 2007 dans le GQ américain et intitulé The Seven Temples of Food World[1]. Il était présenté de la manière suivante : « Alan Richman crossed oceans, countries, and continents to eat at the seven greatest dining destinations on earth[2] »… et c’était vrai. puisqu’il avait parcouru l’Europe et était allé jusqu’en Australie ! Mais dans l’échantillonnage de critiques que j’avais à juger, il y avait le récit fait par Matt Preston (devenu aujourd’hui une star internationale grâce à la télévision) de son expédition, l’été dernier, pour faire le tour des établissements du Top Five du magazine anglais Restaurant[3]. Matt, d’ailleurs, aborde dans son article la question du coût de cette aventure. Je ne crois pas que ce soit faire du mauvais esprit que dire que nous n’avons rien vu de semblable en France (et pourtant les cinq restaurants en question sont tous européens — pas français, d’accord ! — ce qui rend l’aventure beaucoup moins problématique lorsqu’on vient de France plutôt que de Melbourne…) Il y aura d’ailleurs matière à revenir sur ce compte-rendu de voyage : l’expérience est suffisamment rare pour mériter qu’on s’y arrête, surtout lorsque c’est quelqu’un comme Matt qui la mène.
Ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui… Ce qui m’a intéressé dans l’exercice qui m’a été offert, c’est un trait qui m’a semblé caractériser la (meilleure) critique australienne : sa capacité à passer de l’individuel au local et au global. Parler d’un restaurant devient véritablement une façon de penser la cuisine dans son ensemble. Est-ce la situation si particulière de l’Australie qui permet à ses critiques gastronomiques d’avoir cette faculté ? L’éloignement de ce pays, que ce soit de l’Europe ou des États Unis, semble pousser ces derniers à tenter de relier ce qui se passe chez eux avec ce qui peut advenir ailleurs dans le monde : on est loin de la mentalité de village gaulois assiégé qui règne le plus souvent chez nous…
[1] http://www.gq.com/food-travel/alan-richman/200709/world-dining-destinations
[2] Alan Richman a traversé les océans, les pays et les continents pour manger dans les sept plus grandes destinations culinaires du monde.
[3] Sydney Morning Herald, supplément du 26 septembre 2009: http://www.smh.com.au/news/entertainment/good-living/preston-rates-the-worlds-best-restaurants/2009/09/28/1253989856254.html