Les photos peuvent paraître un peu gore mais pas de bonne soupe de tomate sans moulin à légumes. On n’a rien trouvé de mieux. Il est juste temps de profiter des dernières tomates: il y avait donc urgence à publier ce billet. Sinon la recette servira pour l’été prochain.
« Ma » soupe de tomate est directement inspirée de la passata, la sauce que toute bonne mamma — italienne, faut-il le préciser? — se doit de préparer en quantité en prévision de l’hiver. Pure tomate, ou presque… et »passata » en référence au moulin à légumes, justement. Elle se prépare bien en grande quantité, et ce n’est pas un problème: elle ne traîne jamais longtemps dans le frigo. Donc, lavez trois ou quatre kilos de tomates rondes, type marmande, bien mûres, puis égouttez-les. Coupez les tomates en quatre ou en huit suivant leur grosseur et mettez-les telles quelles dans un grand faitout. Vous ajoutez ce qu’il faut de gros sel, de l’ail épluché ou un peu de piment si vous aimez ça, un oignon ou deux si vous craignez l’acidité de la tomate, un peu de thym… Rien n’est obligatoire, sauf le sel: c’est affaire de goût et c’est ce qui fera que « ma » soupe devienne « votre » soupe.
Vous mettez sur le feu assez vif, sans rien ajouter en principe: si tout se passe bien, les tomates rendent immédiatement suffisamment de jus. Sinon, ajoutez un verre d’eau, mais vraiment pas plus, et laissez cuire jusqu’à ce que tout semble bon à passer au moulin (cela prend un peu plus de temps si vous ajoutez de l’oignon: il vaut mieux le couper en 8). Passez les tomates au moulin à légumes, grille fine ou grille moyenne, cela se discute. En Auvergne, j’ai un moulin à légumes antique, sans doute de la première génération, qui n’a qu’une grille moyenne; à Paris, il est plus moderne et j’ai le choix, mais, en général, je prends la fine: le résultat est intéressant dans les deux cas. Quel que soit votre choix, il faut tourner jusqu’à ce qu’il ne sorte vraiment plus une seule goutte et bien écraser les peaux et les pépins: c’est ce qui a le plus de goût (et la peau donne une couleur plus intense).
Soit vous servez cette soupe immédiatement, en rajoutant un peu d’eau si elle vous semble trop épaisse, soit vous la servez froide ou tiède. Dans tous les cas, vérifiez l’assaisonnement en sel, ajoutez un tour ou deux de moulin à poivre et un filet de bonne huile d’olive. Une huile très verte marche bien, mais l’effet est assez attendu. J’ai obtenu un goût beaucoup plus intéressant avec l’huile « Fruitée noire » de PPP (Première Pression Provence), élaborée à partir d’olives très mûres et maturées: son arôme de champignon est très intéressant sur la tomate. Vous pouvez râper du zeste de citron à la surface de « votre » soupe de tomate, ou la parsemer de basilic ciselé (personnellement, je préfère l’estragon, plus surprenant), l’accompagner de très fins toasts tartinés d’anchois ou de tapenade. Je m’en sers aussi pour assaisonner une salade de tomates variées: « Salade de tomates à la tomate ». Et s’il vous en reste vous pouvez toujours vous en servir sur des spaghettis!
les "palhàs"
La photo ne rend vraiment pas justice à cet endroit fascinant: avec son iPhone on fait ce qu’on peut… Le village qu’on voit tout en bas — et donc en haut sur la photo… c’est pratique! — s’appelle Molompize. Il est situé dans le Cantal, au fond de la vallée de l’Alagnon et son altitude est en moyenne de 580 mètres. La photo a été prise 200 mètres plus haut et nous n’étions pas tout en haut des vignes, sur les derniers « palhàs » (c’est le nom des terrasses en auvergnat), il s’en fallait de quelques dizaines de mètres encore, ce qui en fait un des vignobles les plus hauts de France. Autrefois, tout ce versant nord de la vallée était entièrement sculpté par ces palhàs et on y faisait pousser de la vigne. Le versant opposé, orienté au nord, lui, était et reste toujours couvert de bois. Au fond de la vallée, des vergers et du maraîchage. Les palhàs sont soutenus par des murs de schiste ou de basalte, quelquefois véritablement impressionnants. En fait ma phrase est mal tournée: les palhàs sont l’ensemble du mur et de la terrasse qu’il soutient. Ces vignes appartiennent à et sont cultivées par Gilles Monier qui s’est installé là il y a une vingtaine d’années (il était géologue auparavant, originaire de l’endroit) mais qui a mis longtemps à se décider à cultiver la vigne et à faire du vin. Monter jusque là-haut et s’immerger dans ce paysage m’a procuré une sensation incroyable: non seulement je comprenais, je pouvais voir, toucher ce qui fait l’originalité de ces vins, mais, en même temps, remontait du fin fond de l’histoire ce qui avait produit ce paysage. Le vin s’enrichissait soudain de tout le travail qu’il avait fallu depuis des siècles pour en arriver là. Cette impression était incroyable: la solitude face à ces montagnes qui n’en sont pas vraiment, la rudesse de l’environnement, mais aussi la capacité d’accueil de cet espace et ce sentiment de siècles et de siècles de travail accumulé… Je m’y sentais bien. En paix.
Il a démarré en cultivant du gamay et du chardonnay. Avec le chardonnay, il produit deux cuvées: la classique, élevée en cuve, et « Féline », en barrique. Féline, c’est le lieu-dit de son autre vigne, à quelques kilomètres de là, à Massiac, à 6 km. La vigne y a quelque chose de majestueux, même si elle paraît moins impressionnante: les palhàs étaient partiellement effondrés et le versant de la combe boisée dans laquelle elle est située a été entièrement remodelé en gradins, mais avec des engins modernes. La vigne se déploie comme une sorte de grand rideau de théâtre qui monte très haut sur la pente. La forêt est toute proche, ce qui a peut-être des avantages, mais aussi des inconvénients: les chevreuils aiment bien les jeunes pousses et quelques autres espèces se régalent des grains. L’une et l’autre vignes ont été plantées, à l’origine, et en gamay, et en chardonnay. Aujourd’hui, à Féline, Gilles Monier a planté du pinot gris. On peut imaginer que cela donnera des vins un peu dans l’esprit des pinot griggio du Frioul et de la Vénétie Julienne. Gilles Monier vinifie dans la cave de son grand-père, dans le vieux Massiac. Il faut le voir pour le croire tant on est loin de la conception d’une cave « moderne »… Ce n’est rien de dire que c’est extrêmement artisanal! Enfin, cela colle tout à fait avec la culture des palhàs. Ses vins ont une structure très minérale, en blanc comme en rouge. Quelque chose de très « droit ». Le terme l’a fait s’interroger quand je lui ai fait cette réflexion, mais il reflète pourtant le paysage, son austérité et, en même temps, cette générosité. Le gamay est plus épicé que fruité. Le chardonnay est d’une grande vivacité, assez aromatique. Le bois apporte à la cuvée « Féline » une certaine rondeur, mais dans la discrétion. Ce sont des vins très auvergnats: pas expansifs, mais chaleureux une fois apprivoisés, beaucoup plus complexes que ne le laisserait entendre le terroir, bien délaissé pendant si longtemps. Pour trouver ces vins, vous pouvez vous rendre chez Gilles Monier, mais il est prudent de téléphoner. Sinon, vous pouvez les acheter aux Caves du Palais, à Saint-Flour, une « maison de confiance » tenue par André Rieutord et sa femme Marie, qui sont devenus des amis, et à Paris, au moins chez Camille Sarrau, de la Cave de Lourmel, à qui je les ai fait découvrir. Read the rest of this entry »