J’ai déjà eu l’occasion, ici même, de parler du restaurant de Guillaume et Christine Viala, Le Belvédère, à Bozouls. Profitant d’un séjour récent dans le Cantal, j’y suis retourné (Bozouls est situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Rodez dans l’Aveyron) et j’y retournerai encore certainement dès cet été car, si j’avais apprécié la maison dans sa globalité lors de mon premier passage, un plat m’a particulièrement frappé cette fois-ci, qui m’a fait m’interroger davantage sur la cuisine de Viala. J’y reviens tout de suite… Cette dernière visite va être, de plus, l’occasion de mettre en pratique une “critique à quatre mains” telle qu’on la suggérait, Sébastien et moi, dans Les cuisines de la critique gastronomique. Dans le cas présent, la seconde paire de mains appartient à Matthieu Aussudre, qui a été mon étudiant à Toulouse et travaille actuellement avec moi. Matthieu est en outre l’auteur du blog Les carnets d’un jeune gourmet sur lequel vous retrouverez ses commentaires sur notre escapade, puis nous tenterons dans un prochain billet de faire une synthèse de ces deux comptes-rendus.
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Alors, ce plat? Il s’agit de la “pièce de bœuf fermier d’Aubrac”. La cuisson, à l’unilatérale, est peut-être la première cause d’étonnement: s’il est fréquent d’aplatir une escalope, c’est déjà plus rare pour un morceau de bœuf; la cuire ensuite sur une seule face l’est encore plus. Personnellement, c’est la seule fois où je l’ai vu faire… Mais ce serait juste une curiosité s’il n’y avait la garniture: “oignon nouveau et radis-cerises sautés-déglacés, gariguettes”. Sur une assiette noire néo-cinquante (qui s’assortirait bien avec des appliques de Serge Mouille, pour situer), le steak — car, après tout, c’est bien de cela qu’il s’agit — est posé, face cuite dessous; sur la chair juste chaude mais crue, et donc rouge, est disposée la garniture à dominante de cette couleur elle aussi — radis, gariguettes, et les oignons qui ont pris des reflets bruns. Comme une belle tartine d’un rouge profond. Visuellement, c’est très réussi… Mais ce qui est plus important, c’est également bon et cela fonctionne d’une manière tout à fait surprenante: la gariguette, en fait une demi-gariguette, tranche dessous, se réchauffe au contact de la viande et devient fondante tout en gardant ses notes acidulées. Pour moi, cela faisait l’effet d’une sauce, l’onctuosité et la structure acide d’une béarnaise. Sans le gras évidemment. Après le repas, Guillaume Viala nous a expliqué que les fruits sont, pour lui, des condiments, mais il faut l’entendre au sens où on le fait aujourd’hui en général, tous ces pestos plus ou moins exotiques qui décorent les assiettes (et font un peu plus que cela, tout de même). En même temps la fraise, par sa tiédeur, sa jutosité, sa texture, était comme une sorte d’émanation de la viande, son prolongement. De leur côté, davantage dans le rôle classique de garniture, radis et oignons, en apportant un contrepoint au bœuf, jouaient aussi sur leurs contrastes: croquant/fondant, épicé/doux. Pour finir, la vinaigrette venait relever le tout, mais, là encore, de manière ambivalente grâce au malt et au soja. Autant l’intitulé semblait étrange, à la limite de l’incongru, bien que la cuisine espagnole nous ait déjà habitués aux fraises avec le poisson, ce plat m’a paru, nous a paru, une vraie réussite: savoureux, riche, complexe. Surprenant parce qu’il réveillait des impressions connues, donc assimilables, par des moyens plutôt inattendus où les ingrédients échangeaient quelquefois leurs rôles, ou jouaient avec tout au moins: là, on est bien dans la modernité de la cuisine. Read the rest of this entry »