l’Asie, perdue en translation

lundi déc. 13, 2010

L’immensément sympathique et hautement compétent food writer qu’est Alec Lobrano s’interroge, sur son blog, sur la qualité générale de la restauration asiatique à Paris (c’est à la fin de la page): il faut dire qu’il a eu l’idée étrange d’aller manger un « truly miserable » morceau dans deux adresses où je n’ai pas mis les pieds depuis facilement dix ans — et qu’il ne me viendrait d’ailleurs pas à l’idée de recommander à qui que ce soit. (Une anecdote concernant le restaurant chinois de Saint-Germain-des-Prés qu’il mentionne: le patron d’un guide pour lequel j’ai travaillé autrefois voulait qu’on l’intègre à notre sélection de tables parisiennes, parce que c’était une adresse formidable, authentique, et bla et bla et bla. Jusqu’au moment où j’ai découvert que c’était tout simplement la cantine… de ses parents. Passons.)

Si Alec ne manque pas de souligner que de plus en plus de restaurants japonais valent le goût (je vais d’ailleurs aller voir Sola de ce pas, sur les traces du Fooding® ou du Figaroscope), il pointe très justement l’absence globale de « sincérité, de fierté et d’authenticité » de ce qui nous est trop souvent servi à Paname. Il faut être honnête: s’il est tout de même possible de mettre la main sur une grosse vingtaine d’adresses vaillantes et vraies (je suis à votre disposition, mais n’en abusez quand même pas!), on est loin, mais alors trèèèèèès loin de ce qu’on peut trouver à deux pas de chez nous — à Londres, au hasard.

Nettement plus loin, Alec mentionne San Francisco, sur ma wish list depuis quelques mois, et Sydney, que Bénédict et ma pomme commençons un peu à connaître (on va rester modestes, hein) depuis le temps qu’on y va. Sincèrement, on imagine mal ce dont sont capables, dans le land down under, les chefs d’origine chinoise, vietnamienne, malaisienne, thaïlandaise… (Sans même parler de l’influence qu’ils ont sur les cuisiniers d’origine européenne, comme Martin Boetz, pour ne nommer que lui.) Il y a un peu plus d’un an, les cuit-cuiteurs Beaugé et Demorand y prenaient une n-ième claque dans les gencives. Encore à moitié groggy, voici un extrait de ce que j’écrivais à mon retour, dans un long papier publié par le Magazine de l’Optimum. (Pomme-C, pomme-V, te voilà à Sydney. C’est dingue.)

Comprenez : l’Australie est située sur une espèce d’axe géographique vertical qui part d’entre Chine et Japon, passe du côté de la Thaïlande et du Vietnam, puis croise les Philippines ou l’Indonésie — entre autres. Ajoutez aux migrations que cela implique les vagues successives qui remontent au XXe siècle, des Grecs, des Italiens, des Allemands. Secouez le tout et vous voilà face à la plus authentique, la plus intrigante, la plus excitante des « melting popote » qui soit.

Attention : la « fusion food », ici, n’est pas un concept — personne, d’ailleurs, n’emploie le mot — mais, plus prosaïquement, une culture, une réalité, un regard. L’un des papes de la nouvelle cuisine australienne (dites « mod oz », pour « modern australian »), Cheong Liew, a ainsi vu le jour à Kuala Lumpur, avant de s’initier à la cuisine chinoise, de tâter de l’indienne, de se faire recruter comme chef dans un fameux restaurant grec, puis d’inventer son propre style « East meets West ». « Quand je fais mon canard grillé-fumé en croûte de sel », dit ce cuisinier rigolard, « j’utilise certes du soja ou des ormeaux, mais j’ajoute aussi du jus de volaille et un coup de beurre, car je ne cherche jamais à faire des plats totalement asiatiques. » Syncrétisme culturel que confirme Matt Preston, le plus fameux, le plus rock et le plus « dandy-esque » des chroniqueurs gastronomiques australiens : « Ce qui est fascinant, aujourd’hui, c’est la façon dont un jeune cuisinier d’origine coréenne, par exemple, va réinterpréter de façon moderne ses souvenirs gustatifs. » Ou vietnamienne, mettons. Luke Nguyen est né en 1978 dans un camp de réfugiés en Thaïlande, alors que ses parents fuyaient leur pays en bateau. Une fois arrivés à Sydney, ceux-ci s’installent en banlieue, à quarante kilomètres à l’ouest de la ville : ils tiennent, dans cet immense « Asialand » qu’est Cabramatta, une excellente petite cantoche. Le fiston, lui, fera mieux : Red Lantern, une cuisine vietnamienne totalement authentique, mais réinterprétée de façon contemporaine — sens du produit, recherche des ingrédients, précision des assaisonnements, présentation des assiettes, décor stylé mais sans emphase. Ah, et on allait oublier : un culte maladif de la gastronomie « eco friendly », éthique, durable, bref, tout ce qu’il faut pour signifier qu’on tient à préserver le « land down under », comme on surnomme ici ce bout du monde.

Kylie Kwong poursuit la même démarche que Nguyen, à ceci près que les racines sont, chez elle, chinoises. « Il y a cinq ans, raconte-t-elle, j’ai vidé tous mes placards. Plus de sauce hoisin, par exemple : trop artificielle… Je fais la mienne, aujourd’hui, avec beaucoup de miso noir bio et de l’ail. Mais il a vraiment fallu que je repense tout le truc : passer en bio, ça a été un véritable défi pour moi comme pour mes cuisiniers. » Difficile de dire si l’on mange mieux, aujourd’hui qu’hier, dans son minuscule bistrot laqué de noir. En tout cas, après un repas en forme de banquet qui voit défiler des wonton au poivre de Tasmanie, une truite de mer crue au piment et au vinaigre, des foies de volaille sautés aux oignons doux, des concombres au cochon et aux huîtres, arrosés du blanc de la maison (produit en biodynamie, please), on se dit en tout cas que du côté de chez nous, entre les sempiternels bœuf aux oignons et dim-sum à la crevette, on n’a tout simplement jamais mangé de vraie cuisine chinoise. Kylie, beaucoup plus tranquillement, se définit comme « une fille chinoise née en Australie mais ouverte sur le monde qui l’entoure ». OK, c’est bien noté, Kylie — et sinon, vous nous recommanderiez quoi en cuisine thaïe ?

Réponse à pile ou face : Sailor’s Thai Canteen ou Longrain. Point commun aux deux enseignes, un même chef, passé de l’une à l’autre. Il s’appelle Martin Boetz, et comme son nom l’indique vaguement, il a vu le jour en Allemagne. Autrement dit, rien qui le prédestinait particulièrement à devenir la coqueluche de la nouvelle vague thaïe qui déferla sur Sydney au milieu des années quatre-vingt-dix. Au Sailor’s Thai, il a lancé le style troquet à tables d’hôtes : même sans lui, l’adresse reste aujourd’hui une valeur plus que sûre. Il a ensuite lancé son propre restaurant, Longrain, une espèce d’entrepôt design aux boiseries ouvragées, dont le bar, à l’entrée, accueille de fines moustaches à la Clark Gable ou quelques apprenties Dita von Teese. Mais c’est aux côtés de sublimes sylphides aux chevelures de jais, avec le « Ghost Town » des Specials à pleins tubes, qu’on a eu droit à des encornets sautés sel/poivre/cannelle tout aussi renversants que les feuilles de bétel aux crevettes, cacahuètes, coco torréfiée et gingembre. Et entre nous, c’est là qu’il faut débarquer, à la descente de l’avion, pour comprendre ce que cuisine veut dire à Sydney.

Pffffff, ça donne faim, de relire tout ça… Ces encornets, tiens, je les ai encore là — dans un coin de la tête, un recoin de la bouche… Une came absolument grandiose, la friture à la nano-seconde, le grillé, le moelleux, l’équilibre, la divine surprise de la cannelle tout en délicatesse — simple, bien sûr (quoique?), mais avec tellement de respect, de justesse, d’esprit, qu’on s’arrache évidemment les cheveux en se demandant où trouver ça sous nos latitudes. Réponse: nulle part. (Surtout avec les Specials en bande-son. Ça joue beaucoup, les Specials.)

Je rejoins donc Alec et son vœu pieux sa conclusion: à quand deux ou trois restaurateurs malins pour booster — comme on dit en bon français — l’offre pan-asiatique parisienne? Qui pour faire rimer, mettons, vietnamien et contemporain?

Ci-dessous, Asian Food in the Street, Cabramatta (New South Wales, Australia), 26 octobre 2009, 11h03.

PlateauCabramatta


disposez-vous d’un voiturier?

lundi déc. 13, 2010

Utilitaire 4L(asserre), 10 décembre 2009, 8h17.

4Lasserre


Mamascarade

samedi déc. 11, 2010

Je ne sais pas si vous êtes retournés récemment au Mama Shelter, dans le XXe arrondissement de Paris, la capitale de la France. Comme c’est à deux pas de mon humble demeure, j’y suis assez souvent, pour douze cafés et deux rendez-vous.

Il m’arrive aussi d’y déjeuner ou d’y dîner, alors que je n’ai jamais été vraiment convaincu par le casting culinaire Senderens: en gros, j’y retourne par flemme (mais aussi parce que j’aime bien ce que Starck y a fait en matière de décor) ou parce qu’une pizza pas mauvaise chez eux vaut mieux qu’un méchant frigo vide chez moi.

Mais là, je pense que j’ai eu ma dose. Sur le moment, ça m’a pourtant fait rire (jaune fluo). Ils appellent ça les « hors d’œuvre à la parisienne ». Cool. Il y en a une rafale. Des œufs durs avec une sauce tartare, une piperade, du saucisson, des radis, OK, super.

On part donc sur une salade de lentilles, un caviar d’aubergine et une espèce de mix de crabe et d’avocat. Et on debriefe. Lentilles: sel, poivre, pas la peine d’y penser, ce sont des espèces menacées. Caviar: une bouse (pas d’autre mot, sorry) brunâtre, re-fadasse, sincèrement indigne, on en est gêné pour eux. Le meilleur pour (vous couper) la faim? Je vous mets juste l’image. Entre nous, on ne dirait pas que ça a déjà été mangé?

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connaissez-vous Le Grand Jojo?

vendredi déc. 10, 2010

Le vendredi 10 décembre 2010, à 23h48, il y avait 88 personnes déclarant aimer Joël Robuchon sur Facebook.

Je sais pas pourquoi, mais je me boirais bien une petite bière bien fraîche pour fêter ça, moi… « Chef, un p’tit verre, on a soif!… »


garçon, un cubi pour mon ami Jimi!

vendredi déc. 10, 2010

Enfin! 41 ans après avoir montré son roi lézard à la foule pendant un concert, Jim Morrison vient d’être gracié à titre posthume par l’Etat de Floride. Je ne sais pas ce que le chanteur des Doors avait avalé ce soir-là, mais j’ai repensé à cette info en recevant un peu plus tard un mail qui m’annonçait — tenez-vous bien — l’existence d’une cuvée Experience, en hommage à cet autre allumé sublime qu’était Jimi Hendrix.

On doit ça au château Ducla, lui-même membre de ZZ Top de la grande famille Mau. Experience, explique d’un ton plus docte que rock ce communiqué de presse, est un assemblage de sauvignon gris, sauvignon blanc, sémillon et muscadelle, élevés en barriques. J’ai immédiatement demandé un échantillon (que j’attends avec impatience), pour savoir si ce blanc peut — ou pas — entraîner des effets similaires à ceux de Purple Haze, mettons. J’ai quand même peur d’une vilaine descente de trip si je me retrouve à glouglouter un truc trop boisé comme on les aime par là-bas…

Je continue de pomper allègrement le communiqué, si ça ne vous dérange pas trop. C’est donc Jean-Pierre Mau qui a eu l’idée de cette cuvée en 1993. Ouvrez les guillemets: « L’œuvre de Jimi Hendrix et de son célèbre groupe ‘Experience’ [lui] ont inspiré les mêmes sensations, les mêmes valeurs esthétiques que celles apportées par le premier millésime de ce vin à peine né. » Jean-Pierre, vous voulez qu’on s’écoute Stone Free ensemble, un de ces quatre?

Bon, je vais arrêter de chauffer les barriques de mes amis bordelais, sinon je vais être privé d’Experience à tous les coups.

(Un dernier pour la route, quand même? J’ai vu l’étiquette, et je peux vous garantir qu’elle n’a qu’un lointain rapport avec la pochette de Axis: Bold as Love.)

Allez, histoire de détendre tout le monde: pouvez-vous me dire dans quelle brasserie d’un quartier huppé de Paris j’ai pris au vol cette photo d’une célèbre photo de Jimi (oui je sais, la mienne est floue)?

Pour vous mettre sur la voie: on y mange vraiment bien, c’est ouvert tout le temps, le pied de porc de chez Hardouin y est servi non-désossé et ils ont le bon goût de faire eux-mêmes leur mayonnaise. Et certains des clients ont bien connu les parents de De Gaulle (moyenne d’âge, donc: 193 ans).

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chez Daniel et Denise (Lyon)

jeudi déc. 9, 2010

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No comment,

7 décembre 2010, 15h32.


chez Bernachon (Lyon)

jeudi déc. 9, 2010

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Bassines en cuivre,

7 décembre 2010, 10h44.


requiescat in pâté

mercredi déc. 8, 2010

C’est pendant le championnat du pâté en croûte (remporté par Eric Métivier, de Lenôtre, j’y reviendrai) que j’ai appris la disparition, dimanche 5 décembre au matin, de Jean Ducloux. L’ancien chef de la mythique maison Greuze, à Tournus, avait 90 ans.

Dès que j’aurai trente secondes, je ferai en sorte de remettre la main sur sa recette de « pâté en croûte à la Dumaine » (chez qui il avait travaillé, ce qui ne nous rajeunit pas): j’avais goûté ça une fois, il y a des années, et c’était réellement monumental. Gaullien, j’allais dire. Si vous ne pouvez pas vous passer d’une image, les sérieux buveurs (et mangeurs!) du Grand jury européen ont ça sous le coude.

A part ça, je garde le souvenir d’un chef en noir et blanc, drôle et cinglant, truculent et touchant — des comme on n’en fera évidemment plus.

Il m’avait faire pleurer de rire, avec son numéro d’orgue de foire — un grand enfant, les yeux écarquillés, tsoin, tsoin, tsoin.

Il m’avait nettement moins fait rire, avec quelques saillies extrêmement à droite — qu’on mettra pudiquement sur le compte d’une culture politique sépia, elle aussi.

Il aurait pu — pardon: il aurait dû! — faire du cinéma parce que c’était un vrai tonton flingueur.

In memoriam, donc.


gastro, c’est trop

dimanche déc. 5, 2010

Visionnage avec un poil de retard, comme souvent, d’un bon petit reportage de derrière les fagots, diffusé récemment chez les Sœurs Sourire d’Envoyé Spécial. Ça s’appelle Restaurants: La gastronomie du micro-ondes, et c’est tout ce qu’on aime — caméras cachées, fouille des poubelles en fin de service, visites anonymes chez un grand nom de la distribution alimentaire qui n’aime pas qu’on lui fasse trop de pub (« Métro, c’est trop », hurlait Téléphone au XXe siècle, remember?), touristes japonais en pâmoison chez Chartier, Emmanuel Rubin face à un délicieux tartare qui sort du sachet, bref, un grand moment de pornographie gastronomique sur le service public.

Qui, ce faisant, fait impeccablement son boulot: rendre service au public. En lui disant qu’il lui arrive souvent de manger de la merde (voilà que je parle comme Coffe, tiens) ou qu’une bouillabaisse dans les règles de l’art peut lui être facturée 58€ (quoique?). En lui rappelant que son axoa sort d’une boîte de conserve et que c’est un sri-lankais bossant 60h par semaine qui le lui a réchauffé avec amour.

Vous dites? « Rien de nouveau sous le soleil »? Peut-être. Pour qui connaît un peu les arrière-cuisines ou se délecte chaque semaine des réclames de l’industrie agro-alimentaire dans la presse pro, rien de neuf, sans doute. Mais ça fait combien, au juste: 0,067% de la population française? Et les autres? Mettons ceux qui regardent le jité de France2 le soir où on annonce que le Repagastronomikdéfranssé a été classé au patrimoine immatériel de l’Unesco — ils en pensent quoi, eux?

Bon, on va la faire courte: un reportage à voir, à revoir, à re-revoir et à faire circuler. (Et n’oubliez pas de demander la prochaine fois à votre maître d’hôtel si la mousse au chocolat du chef est vraiment maison. Moment de détente en perspective.)

PS: comme vous m’êtes sympathiques, je vous donne la recette du saumon à l’oseille telle qu’elle apparaît dans le reportage. « Avec sauce déjà préparée, juste à chauffer. 3 minutes. »

PS2: comme le rappelle très justement le reportage, rien de ce qui est montré n’est illégal.


ariel vise pas si mal

dimanche déc. 5, 2010

Au cas où vous l’auriez loupée, une contribution au débat sur le classement du Repagastronomikdéfranssé par l’Unesco. Bah oui, c’est signé Ariel Wizman, et le point de vue qu’il livre à l’Express Styles se défend carrément. « C’est le sentiment d’exister qui manque au modèle français », écrit-il notamment. Ça change de ce que nous remâchent Guy Savoy ou Jean-Robert Pitte, vous ne trouvez pas?